Question : Mon Père, vous semblez être la « cheville ouvrière » du Centre grégorien Saint-Pie X. Pouvez-vous préciser, à l’intention de nos lecteurs, la genèse de cette institution, qui n’est plus tout à fait inconnue, et l’itinéraire qui vous a amené à vous en occuper ?
Réponse : Je suis un peu gêné de paraître en position de meneur en matière de chant grégorien, car c’est vraiment la Providence qui m’a donné ce rôle, avec quelques « coups de pouce », et l’aide de quelques personnes, qu’en conscience je ne peux passer sous silence.
A l’origine de ce Centre, il y a d’abord la personnalité inoubliable de M. le chanoine Jean Robin (1920-2002), prêtre musicien s’il en fut. Sa carrière de prêtre diocésain s’était déroulée à Beauvais, dans l’enseignement ; parmi ses attributions, il y avait la musique vocale : chant grégorien (il avait été enthousiasmé par la Schola Saint-Grégoire du Mans et la méthode Ward), mais aussi chant religieux et chant profane (nous conservons quelques-unes de ses compositions dans des registres fort variés). Ses talents pédagogiques, dont témoignent tous ceux qui l’ont connu, sa corpulence et sa bonhomie (jointe à une autorité certaine) ne laissaient personne indifférent.
Mis à la retraite prématurément, il choisit la fidélité à la messe traditionnelle et fonda dans sa région d’origine, à Chemillé (Maine-et-Loire), une chapelle où, maintenant encore, dans son sillage, service liturgique et musique sacrée sont très à l’honneur (les deux vont de pair). Mais, lorsque cette chapelle fut bien en place (ce qui ne se fit pas sans mal), son zèle lui suggéra d’en faire plus : estimant que, trop souvent, la musique qu’on entend dans nos chapelles manque de dignité, il souhaita transmettre son expérience de façon un peu structurée, en organisant des stages adaptés aux nécessités du temps.
Il donna ponctuellement quelques cours à Chemillé et à Thouars, qui lui démontrèrent qu’il y avait une demande en la matière. Pour en faire plus, il lui fallait des locaux et quelques collaborateurs – car il était alors déjà largement septuagénaire. Et c’est un peu fortuitement qu’il fit connaissance avec la Fraternité de la Transfiguration, implantée à Mérigny, avec une hôtellerie qui pouvait convenir ; la première session et lieu durant l’été 1997.
Q. : Êtes-vous, vous-même, de la race des « prêtres musiciens » ?
R. : En 1997, ce n’était pas vraiment le cas : prêtre, je ne le devins que l’année suivante, et je n’avais qu’un bagage musical assez mince ; depuis, celui-ci s’est heureusement renforcé, mais je ne saurais prétendre être, sur le plan musical, le « patron » du Centre. M. le Chanoine sut donner sa marque à notre institut naissant pendant les trois années où sa santé se maintint mais, dès 1998, notre tandem fut renforcé par un musicien professionnel ami : M. Bernard Gélineau (aucun rapport avec le jésuite du même nom, liturgiste fort novateur et auteur de cantiques français plus ou moins controversés). Directeur d’école de musique et en même temps zélé grégorianiste, il a su assurer la continuité et la succession du fondateur. Je me plais alors à voir le doigt de la Providence dans la petite, mais très fidèle équipe de professeurs, aussi compétents que dévoués, qui s’est jointe à nous ; tous ont le même souci que M. le Chanoine : rendre à la musique d’église toute sa dignité et, pour cela, remettre le chant grégorien à la place primordiale qui lui revient dans l’Église de rite latin.
Q. : Noble ambition ! Mais, si je puis m’exprimer ainsi, aviez-vous des objectifs précis en vue ?
R. : Plus ou moins… Notre plan, en fait, revient à donner aux paroisses et aux chapelles les moyens pour que les instances pontificales ne restent pas lettre morte. De saint Pie X à Pie XII, les papes ont affirmé clairement que le grégorien devait être à l’honneur dans les lieux de culte et les écoles catholiques. Pour cela, deux grands moyens nous semblent absolument indispensables : sensibiliser les responsables (c’est-à-dire les prêtres) et former des chefs de chœur. Nous avons alors quelques principes intangibles, exprimés dès le départ pour assurer notre travail.
Premier principe : œuvrer avec l’accord explicite du clergé. Dans les paroisses (ou leur équivalent), il est certain que, sans le clair soutien du desservant, les initiatives, même excellentes en soi, ne peuvent que semer la zizanie, et échouer à plus ou moins brève échéance. Je ne force pas le trait : si de jeunes et brillantes voix (bien formées dans de « bonnes écoles ») veulent, souvent sans grand tact, remplacer les vénérables Mesdames X et Y, c’est toujours à ces dernières que M. le Curé donnera raison ! Sauf si Monsieur le Curé est bon musicien ou, tout au moins, s’il est bien conscient de l’enjeu. Pour nous, l’accord avec le clergé a signifié, dès le départ, nous mettre sous la houlette de M. le Supérieur de District à Suresnes ; et nous sommes très reconnaissants du soutien constant apporté par Messieurs les Abbés Laurençon et de Cacqueray.
Deuxième principe : privilégier la qualité. Nous adjurons souvent nos élèves de ne pas vouloir à toutes fins chanter les cinq pièces de la messe dominicale si la chorale est moyenne : le résultat aurait toutes les chances d’être calamiteux ; mieux vaut chanter moins, et chanter mieux. La clef des progrès décisifs réside, en fait, dans la présence d’un chef bien formé, et dans la régularité des répétitions. Alors, il y a quelque espoir que, dans nos chapelles, le chant remplisse son rôle en attirant les âmes au Vrai par le Beau. Précisons encore que nous nous référons à l’école grégorienne dite « de Solesmes » : c’est-à-dire que nous nous plaçons (sans fixisme, car la musicologie n’est pas une science morte) dans la lignée de Dom Mocquereau et Dom Gajard, qui au XXe siècle œuvrèrent de façon décisive pour la restauration d’un chant liturgique authentique et de qualité. A propos de la qualité du chant, j’aime à proclamer que le chant grégorien devrait avoir, sur le plan musical, l’effet que produisent fresques, mosaïques ou icônes dans les églises au décor particulièrement soigné (je pense aux basiliques de Ravenne, ou à certains édifices byzantins) : être d’une beauté à couper le souffle, introduire ainsi au mystère du Dieu Tout Autre qui transfigure nos existences. Pour cela, il faut non seulement que les chanteurs soient de bonne volonté et bien formés, mais encore qu’ils bénéficient de la direction d’un chef de chœur vraiment compétent.
Q. : Le programme proposé dans vos sessions semble en effet copieux et même impressionnant pour un béotien… N’y a-t-il pas là un professionnalisme qui décourage les débutants ?
R. : Nous espérons bien que non, car c’est notre troisième grand principe : user de pédagogie pour encourager les commençants. La méthode Ward aide puissamment à acquérir des notions indispensables (aisance à lire les notes, et surtout assimilation du rythme grégorien). Et le cursus des sessions s’est mis en place de façon un peu empirique au départ, puis de plus en plus structurée (il ne peut y avoir de musique véritable que structurée, nos élèves assidus le savent bien) : sessions pour débutants, puis 2e et 3e degrés, et enfin, pour les plus doués, sessions pour chefs de chœur. Grâce à notre équipe (six ou sept professeurs en tout), nous avons maintenant bien en place, chaque année, trois sessions de six jours : en février (ou mars), en juillet et en août.
Q. : Pratiquement, comment se déroulent les journées durant les sessions ?
R. : Nous tâchons de faciliter le travail, en dosant subtilement les activités : technique vocale, théorie, pratique, répétitions pour les cérémonies (nous assurons le chant de la messe et des complies de chaque jour, et nous ne manquons pas d’insister sur la profondeur spirituelle du chant grégorien) ; puis, nous avons à cœur que ceux qui consacrent une semaine de vacances au chant liturgique se sentent justement un peu en vacances : la bonne humeur et la bonne entente sont de règle… et s’imposent assez facilement, tant il est vrai que chanter en commun unit les cœurs et les âmes. Enfin, une veillée récréative vient le plus souvent assurer une détente bien appréciée et méritée. Néanmoins, je mentirais en affirmant que nous avons trouvé le moyen d’enseigner « le grégorien sans peine » ! Le chant grégorien est une ascèse, il demande des efforts persévérants, mais nous espérons faire comprendre que l’enjeu en vaut la peine. En tout cas, nous répondons à un besoin certain : les effectifs de nos sessions se maintiennent, et la moyenne d’âge est plutôt jeune ce qui est de bon augure pour l’avenir…
Q. : Le Centre grégorien assure-t-il autre chose que ces sessions de chant grégorien à Mérigny ?
R. : Nous assurons des sessions de formation à l’accompagnement du chant grégorien à l’orgue, réponse à une demande justifiée : rares sont les lieux de culte où se trouve un organiste formé à la musique grégorienne et, dans la pratique, la foule a bien souvent besoin de l’orgue pour chanter sa partie (alors que les pièces du propre, assurées par le chœur, demandent à être chantées a capella, c’est-à-dire sans accompagnement).
En outre, nos professeurs ont déjà eu l’occasion, un peu ponctuellement, d’assurer des sessions ponctuelles « décentralisées », auprès de groupes demandeurs. Au contraire, depuis quelques années, c’est de façon très régulière que nous encadrons des sessions au sein de communautés amies : Dominicains et Dominicaines d’Avrillé, Sœurs de la Fraternité St-Pie X, Petites Sœurs de Saint-François, Bénédictines de Perdechat, Dominicaines de Brignoles…
Par ailleurs, depuis l’été 2007, un nouveau type de session se déroule à Mérigny, destiné aux 8-12 ans, adapté à cet âge sous forme de « camp-chantant », avec tout de même une nette initiation au chant grégorien et à sa spiritualité, en même temps qu’à la liturgie ; la formule est maintenant rôdée et semble également répondre à une attente.
Enfin, pour être complet, je dois signaler qu’il y a déjà quelques années, notre Centre a organisé, à deux reprises et dans la discrétion, des réunions de travail avec prêtres et chefs de chœur, visant à améliorer ce qui peut l’être, dans nos chapelles et lieux de culte, sur le plan du chant liturgique : dans un climat serein et cordial, nous avons l’espoir fondé d’œuvrer pour le bien commun.
Ce ne sont pas les projets qui manquent, mais le temps et les moyens humains. Jusqu’à présent, les soutiens et les cadres ne nous ont pas manqué ; la Providence saura bien pourvoir au développement de nos activités, par le biais sans doute de ce site internet…
Version remaniée de l’article paru dans le n° 178 (juillet-août 2007) de la revue Fideliter.