Ce jeune compositeur, né en 1978, séduit beaucoup de chœurs professionnels ou amateurs aux États-Unis, en Angleterre ou en Allemagne, mais aussi aujourd’hui en France. Il est un grand nom de la musique chorale sacrée aujourd’hui et n’hésite pas à composer en latin sur des airs grégoriens. S’agit-il d’un compositeur liturgique au sens du pape saint Pie X ?
Repères biographiques
Ola Gjeilo est né à Skui en Norvège. Il a commencé à jouer du piano et à composer quand il avait cinq ans et à lire la musique quand il en avait sept. Gjeilo a étudié la composition avec Wolfgang Plagge. Dans sa carrière de premier cycle, Gjeilo a étudié à l’Académie norvégienne de musique (1999-2001) puis à la Juillard School (2001) et au Royal College of Music de Londres (2002-2004) où il a obtenu un baccalauréat en composition. Il a poursuivi sa formation à Juilliard (2004-06) où il a obtenu sa maîtrise en 2006, toujours en composition. De 2009 à 2010, Gjeilo a été compositeur en résidence pour Phoenix Chorale, et chez Voces8 en 2016.
Il réside à Manhattan, travaillant comme compositeur indépendant.
Sources d’inspiration
Sa grande inspiration est dans les musiques de film. On le définit souvent comme un compositeur américain, illustrant la ville de New-York. Il a baigné dans tous les genres musicaux actuels : musique savante, jazz, pop et folk.
Thomas Newman, compositeur de musiques de films américain, est l’un de ses modèles. Il suit aussi le pianiste Keith Jarrett et le guitariste Pat Metheny, le verrier Dale Chihuly et l’architecte Frank Gehry.
Style
Particulièrement brillant dans l’écriture chorale, qu’il accompagne volontiers lui-même au piano, Ola Gjeilo n’a pas un style très unitaire.
On retrouve souvent un accompagnement très régulier et répétitif, caractéristique de la musique de variété, par exemple dans Slepless en 2019, Piano Improvisations en 2012, dans le début de Dark Night of the Soul. Ce style répétitif peut aussi s’apparenter à John Cage.
En revanche le gloria de la Sunrise Mass fait penser à Vivaldi avec un accompagnement de cordes très tonal.
Dans le Kyrie de cette même messe, il utilise un procédé de résonance qui le rapproche des compositeurs minimalistes, tel Arvo Pärt. D’autres passages, dans l’Ave Generosa, par exemple (deuxième partie), font penser à de l’organum médiéval. Harmoniquement il utilise quelquefois des accords basés plus sur la seconde et la quarte que sur la tierce et la quinte, à l’image de Maurice Duruflé. Sa musique est facilement modale, comme beaucoup de compositeurs français au 20e siècle.
Certaines œuvres vocales font entendre une polyphonie proche de l’esprit de la Renaissance, par exemple l’Ubi Caritas avec un ton solennel, des finales bien posées sur de beaux accords parfaits. On remarquera particulièrement le rythme du texte latin et la répartition des phrases musicales aux différentes voix.
En tant que compositeur de musique de films, il sait très bien rendre sa musique représentative. Le cas d’école est la Sunrise Mass où l’unité entre le clip et la musique est parfaite.
Un compositeur liturgique ?
Il semble qu’Ola Gjeilo ait plusieurs cordes à son arc. Il adapte son style à la circonstance. La preuve en est que sa musique des dernières années a tendance à prendre un esprit de musique de “variété”, probablement pour des raisons commerciales.
Il n’a pu connaître l’avant Vatican II, ce n’est donc qu’au travers des compositeurs de l’histoire qu’il s’y réfère. Selon son inspiration, sa musique d’Église revêt donc plus ou moins les caractères d’une musique sacrée.
La Sunrise Mass doit être éliminée d’emblée, car elle s’attache à représenter quelque chose d’étranger à la liturgie. La musique sacrée ne doit pas être représentative, surtout d’un objet étranger à la liturgie comme les planètes, la campagne, le soleil et l’activité humaine.
L’Ubi Caritas et l’Ave Generosa semblent porter les trois caractéristiques données par saint Pie X. Rien n’y est très excessif, dans le rythme comme dans l’expression et le sentimental en est banni, ce qui assure le caractère sacré de cette musique. Elle est de très bonne qualité, en particulier par son traitement du mot latin et l’écriture soignée des différentes voix. Enfin elle cherche une dimension assez universelle, ne serait-ce qu’en mélangeant des styles qui peuvent parler à différentes personnes.
En revanche O Magnum Mysterium, tout comme Ecce Novum, portent trop une influence de la musique de “variété” et de la recherche de l’effet, malgré certains éléments traditionnels.
En conclusion, puisons avec discernement dans ce répertoire récent. Nous souvenant que les papes demandent qu’un compositeur de musique sacrée soit lui-même dans un esprit profondément catholique, nous ne pouvons qu’être méfiants vis-à-vis de compositeurs qui n’ont connu de l’Église qu’un visage défiguré. Toutefois, dans la mesure où ils ont pu connaître par l’histoire les monuments de la musique liturgique, ils sont capables de faire œuvre d’Église.
Par l’abbé Louis-Marie Gélineau