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Dans quelques jours le pèlerinage de Pentecôte nous mettra sur les routes de Chartres à Paris. Comment honorer la sainte Vierge, dont le sanctuaire de Chartres est le point de départ, pendant ces trois jours ? Nous chanterons le rosaire, car « chanter c’est prier deux fois », dit saint Augustin.
Toutefois nous veillerons à chanter « le cantique que la sainte Vierge aime bien », comme elle le disait à l’Isle-Bouchard en 1947. C’est qu’il faut veiller non seulement aux paroles utilisées, mais aussi à la musique.
Celle-ci n’est pas neutre, j’en veux pour preuve un témoignage reçu. Une forme de symbiose s’était opérée entre des catholiques priant le chapelet et des contre-manifestants gauchistes dansant sur le rythme du chant. Saint Pie X demande une musique priante pour l’église, ici nous avons plutôt une musique dansante. Malheureusement, ce “Je vous salue Marie”, venu des JMJ, est très souvent entendu, dans les manifestations catholiques (comme devant Notre-Dame en flammes), mais aussi dans des pèlerinages soi-disant traditionnels. Vous trouverez, ci-dessous, l’analyse technique, nécessaire pour comprendre ce qui fait de cet Ave un cantique indigne de la sainte Vierge et qui ne peut l’honorer.
En revanche, le pèlerinage de Chartres peut se glorifier d’un “Je vous salue Marie” immémorial (au moins depuis 60 à 70 ans), à ne pas confondre avec celui de l’abbé Louis, qu’on appelle le “Je vous salue Marie” de Chartres. Ce dernier est presque grégorien, avec un rythme libre respectueux du texte et une mélodie tout à fait modale. En revanche, le rythme de marche de celui du pèlerinage lui permet d’entraîner les pèlerins que les nombreux kilomètres ont fatigué, mais qui souhaitent continuer leur exercice de pénitence sans se décourager. Toutefois il n’est pas à utiliser dans n’importe quelle circonstance, en particulier il faut l’éviter à la chapelle. L’analyse en sera proposée aussi sur cette page.
Certains voudront peut-être varier. L’Ave Maria latin de Gérard de Rosny, célèbre compositeur du pèlerinage de Chartres, répondra parfaitement au “Je vous salue Marie” du pèlerinage. Mais également les Capucins de Morgon nous proposent un air de bonne facture et propice à la marche. Il améliorera notre ordinaire bien plus à propos que les airs de variété venus des “communautés nouvelles”. Il est analysé aussi sur le site du Centre Grégorien et l’enregistrement avec la partition est disponible dans cette vidéo.
Certains seront démunis devant les partitions, c’est pourquoi nous indiquons dans l’analyse où entendre ces airs, ceux qu’il faut écouter et chanter, mais aussi ceux qu’il ne faut pas chanter ni écouter, simplement pour repérer de quoi il s’agit ou à quoi correspond l’explication.
La musique suscite des sentiments bons ou mauvais dans notre âme, indépendamment du texte qu’elle porte. Saint Augustin et bien d’autres auteurs chrétiens l’ont développé. À nous de bien choisir les véhicules de notre prière, afin qu’elle nous mène à Dieu et non à une sensualité débridée, ce que les musiques actuelles de rock et de variété sont tout-à-fait aptes à produire.
Le “Je vous salue Marie” des JMJ
Le compositeur de cet air est un frère Carme, le frère Jean-Baptiste de la Sainte-Famille, élève de Marie-Joseph pour la composition religieuse, guitariste, percussionniste et pianiste.
Le schéma rythmique de son “Je vous salue Marie” est celui du slow rock, tel qu’on le trouve dans « Les Portes du Pénitencier » de Johnny Halliday. Le rythme est ternaire (comme dans une valse, mais pas comme dans une marche), mais dans un cadre d’une mesure à 4 temps où l’on appuie le 2e et le 4e, contrairement aux règles classiques, mais dans le respect du beat caractéristique du rock. Ce phénomène permet la danse en style déhanché, comme faisaient les fameux contre-manifestants gauchistes.
La mélodie est modale, conforme aux principes de composition grégorienne. Mais en réalité la note sensible, qui introduit la tension, vient apparaître dans la 2e voix sur le mot “pécheurs”. Ceci donne une petite note de mièvrerie, comme s’il n’était pas si grave d’être pécheurs.
L’harmonie n’est pas en reste, en réalité c’est elle qui détermine la mélodie. Ce phénomène est caractéristique des musiques de variété : on improvise librement sur une grille d’accords qui se répète. Or c’est la mélodie qui parle le plus à l’intelligence, l’harmonie aux passions. En conséquence ce style de musique fait dépendre l’intelligence des passions, c’est très actuel !
Techniquement, cela s’exprime sur le passage « et Jésus votre enfant est béni ». Selon le schéma ci-dessous, un premier accord fournit les 2 premières notes, un 2e les 2 suivantes, puis un accord par note, dans un parallélisme assez violent, fréquent dans les musiques actuelles et issu d’une dans espagnole assez sensuelle, le passo-doble.
À l’aide de ces quelques éléments, nous pouvons condamner sans appel ce pseudo-cantique. Il n’a rien de traditionnel, il suscite les mauvaises passions et ne peut plaire à la Sainte Vierge. Même une interprétation douce ne fera pas disparaître ces éléments mauvais.
Le “Je vous salue Marie” du pèlerinage
Sans être un chef d’œuvre digne de Mozart ou de Bach, ce cantique traditionnel possède une mélodie bien construite. Elle commence comme un carillon, évoquant les cathédrales qui forment ce pèlerinage. La première partie est construite sur la forme ABAB’ qui est très claire pour l’intelligence. Mozart était un grand adepte de cette structure pour sa symétrie.
La transition vers la 2e partie amène une suspension à la dominante (note la sur “béni”). La mélodie évolue de manière conjointe (d’une note à sa voisine) comme c’est souvent le cas en chant grégorien. C’est exactement le contraire des mélodies générées par l’harmonie dont nous avons parlé ci-dessus.
La réponse “Sainte Marie” est attendue. Elle se présente un peu comme une psalmodie et surtout comme le début du Salve Regina solennel (pas celui du carillon de Chartres). Les phrases sont courtes et bien découpées afin de ménager les respirations utiles au marcheur et la mélodie est bien structurée par des jeux de question-réponse.
Sans être un chef d’œuvre de maître, ce cantique offre à Marie la louange des pèlerins de manière digne. Elle élève leur âme.
Autre article, plus ancien sur le sujet.
L’archet de saint François
Les Capucins ont composé dans l’Archet n°1 un “Je vous salue Marie” qui s’apparente fort au précédent. Même tonalité, ou plutôt modalité, car il se rapproche du Salve Regina solennel ou du Kyrie XI. Toutefois il adopte plus facilement le si naturel et non le bémol, ce qui lui donne un aspect plus ancien encore (comme les mélodies grégoriennes bénédictines).
La première phrase se structure comme dans le précédent, sur cette forme ABAB’ puis une transition vers une finale suspensive avant la réponse. Mais on utilise ici, non la dominante classique (note la), mais celle du 2e mode grégorien (note fa). L’effet est plus doux.
Les symétries et jeux de question-réponse sont aussi nombreux. Un tel cantique d’inspiration grégorienne vaut les cantiques traditionnels de Bretagne ou d’ailleurs. Encore une fois, son ambition n’est pas de faire du Mozart, mais pour la prière, c’est peut-être même mieux que Mozart !